Pour la semaine du handicap, je laisse la parole à un confrère qui a son mot à dire, bonne lecture.
Billet invité – archiaccessible [twitter]
Accessibilité, un lobbying contre-productif !
C’est difficile à croire, mais celui qui retarde depuis des années la mise en accessibilité des bâtiments est… le monde du handicap ! Vous n’en croyez pas un mot, et pourtant. Rentrons dans le détail et vous comprendrez que cette phrase [provocatrice] a bien un fond de vérité.
Depuis 2005 et l’application de la loi « accessibilité pour tous » de 2007, nous avons, nous les formateurs, professionnels de l’accessibilité, bureaux d’étude, architectes, formé des milliers d’acteurs du bâtiment, exercé cette loi sur des milliers de bâtiments neufs ou existants et analysé des dizaines de milliers d’établissements recevant du public et sites divers. Et qu’avons-nous constaté ? Que la loi était trop ambitieuse, que, malgré toutes les bonnes volontés – et ne nous y trompons pas, elles sont nombreuses – la loi ne serait pas, ne pourrait pas, être appliquée dans le délai prévu de 10 ans.
Les raisons sont nombreuses, de la mauvaise volonté certes, mais loin derrière la complexité de mise en œuvre ou l’énormité de ce qui est exigé. Le rapport Colboc, de ma consoeur Emanuelle Colboc, relevait déjà en 2008 beaucoup d’incohérences, mais dans chaque région les dossiers impossibles à réaliser pour cause d’accessibilité (trop couteux, techniquement irréalistes) se sont multipliés, jusqu’à ce que le conseil de l’ordre en fasse un regroupement pour en faire part au ministère. Il était évident qu’à l’heure où le manque de logements est plus qu’évident et le poids économique sur les entreprises plus que jamais difficile à porter, la loi accessibilité était le fardeau de trop.
Bien sûr il faut faire évoluer le bâtiment dans le sens d’une meilleure accessibilité. Parce que cela répond au besoin de la population (vieillissement entre autres), parce que c’est un vecteur de fluidité de l’espace de vie et donc de qualité de vie pour tous, comme d’amélioration fonctionnelle, et donc économique. Mais faut-il exiger pour autant de rendre accessible la paillote Corse ou le local de l’association de pêche de l’Ile d’Yeu ?
Statistiques dérogations
A ce stade je n’ai toujours pas dit comment le monde du handicap rend difficile l’application de la loi, je vais donc me faire des amis :
– La protestation systématique des associations isole chaque jour un peu plus le corpus du handicap visible du reste de la population. Chaque manifestation de fauteuils roulants, commentaire agressif sur les forums, article critique sans proposition constructive, éloigne un peu plus les deux mondes en stipulant : c’est vous contre nous ! Quelle erreur.
-Vouloir imposer une accessibilité partout, quel qu’en soit le prix, contre tous les acteurs du projet, au travers d’une loi, même avec les meilleures intentions du monde, c’est s’exposer à appliquer une dictature de la pensée. Et personne ne peut imposer par la loi ce qui semble contraire au bon sens.
Au-delà de ces errements de communication, qui mettront des années à s’estomper dans l’esprit des acteurs du bâtiment, il y a l’architecture.
– Une accessibilité qui n’est pas intégrée au projet par un professionnel, c’est laid. C’est d’une laideur définitive et exécrable. Fallait il cela pour penser au handicap chaque jour ? Pas un bâtiment public (ou presque) n’a été épargné par la bande podotactile de voirie, la peinture fluo sur les marches ou le grand bleu de peinture sur le parking. Et vous savez quoi ? Rien de tout cela n’est obligatoire. Nulle part la loi ne l’impose. Mais le commerce de l’accessibilité s’est développé plus vite que l’envie de bien faire, et le vite fait l’a emporté sur le bien fait. Qui l’a dit ? Personne ! Pas accessible et moche, voilà, c’est bien fait !
– Par quatre fois les associations ont obtenu l’annulation des dérogations dans le neuf et de les limiter dans l’existant. Encore une fois suite au décret du 6 novembre, les associations vont tenter de contrer l’action du gouvernement (qui pourtant n’est pas le même). Mais faut-il expliquer qu’une dérogation c’est justement quand on ne peut pas faire autrement ? Le médecin de quartier doit déménager parce qu’il est au premier étage sans ascenseur ? Cela parait-il si stupide qu’un salon de beauté puisse aller épiler à domicile s’il a trois marches devant sa porte ? Faut-il que les centre-villes anciens se désertifient un peu plus de leurs commerces parce que trop chers à adapter ?
– Derrière la loi, les commissions, derrière les commissions (ccdsa) les acteurs actifs du handicap. Ce ne sont pas des professionnels du bâtiment qui jugent les dossiers à instruire, mais des représentants d’un lobby. Impossible pour l’architecte de défendre sont dossier, ni avant ni pendant. C’est le couperet.
Je pourrais continuer sur plusieurs pages, mais je ne fais pas un pamphlet contre l’accessibilité mais un article de blog pour essayer de comprendre (merci au passage d’héberger mes propos qui te vaudront mille abonnés de plus ou mille commentaires d’injures).
l’accessibilité ne doit pas enlaidir la ville
Un dernier point, pour montrer comment la communication outrancière peut être contre-productive.
Lorsque le gouvernement, voyant à un an de l’échéance que tout ne serait pas aux normes, et pour cause, met en place une mesure de transition d’un an (vous avez bien lu), quelle ne fut pas ma surprise de constater dans les articles des journaux, poussés par les associations, des titres indiquant jusqu’à 9 ans de plus pour se mettre aux normes. Et bien c’est faux, archi faux et cela a produit l’effet exactement inverse que celui recherché. Pourquoi se presser en effet.
Dans un an exactement, les établissements qui n’ont pas réalisé un dossier accepté en préfecture pourront être sanctionnés de 1500€ d’amende.
Si ledit établissement ne respecte pas les délais indiqués dans son planning (suivant les travaux un, deux ou trois ans) et dans tous les cas avant septembre 2017, il risque une fermeture administrative. Quelques exceptions (gros établissements, transports) peuvent aller au-delà.
Cela semble une éternité à certains, pour nous dans le bâtiment c’est demain !
Que se serait-il passé au 1° janvier 2015 ?
80% des établissements privés n’auraient pas réalisé leurs travaux. Eusse-t-il fallu alors les sanctionner de 45 000€ d’amende ? Pire, demander la fermeture administrative des ces petits commerces, hôtels, associations, etc. qui font le lien social et travaillent d’arrache-pied tous les jours en pleine crise économique ? C’est une plaisanterie de le croire, un totalitarisme stupide que de l’exiger.
Que va-t-il se passer maintenant ?
Comme pour toutes les évolutions du bâtiment, qui nécessitent un investissement lourd et de conviction, comme cela a été le cas pour les énergies renouvelables et l’amélioration thermique, la loi va s’appliquer dans la durée. Ce sera long, pour permettre aux mentalités d’évoluer, aux techniques performantes d’éclore et le simple renouvellement du parc immobilier.
Tout ne sera pas aux normes, certains même traineront les pieds, mais ceux-là seront montrés du doigt, et comprendront qu’ils seront perdants commercialement s’ils ne peuvent pas accueillir tout un chacun. Et si la guinguette du coin n’est pas accessible, cela rendra-t-il le territoire si dramatiquement malsain ? Moins à mon sens que s’il se recouvre de rampes nickelées et d’élévateurs disgracieux.
Après dix ans d’exercice dans ce secteur, je n’ai qu’un mot à dire aux associations qui se regroupent pour dire non sans voir qu’elles isolent un peu plus chaque jour le monde du handicap de celui qui l’observe de loin : battez-vous avec nous ! Les professionnels du bâtiment ne sont pas les monstres que vous décrivez à longueur d’articles, ils sont le nécessaire lien entre ce qui est possible et ce qui est souhaitable. Et, chose incroyable, certains sont eux-mêmes en situation de handicap. Doivent-ils forcement choisir un camp ?
Les citoyens, handicapés ou non, doivent faire une longue route ensemble pour expliquer, convaincre, et agir vers une meilleure accessibilité. Pour que celle-ci soit belle et intégrée à la cité, pour qu’elle soit raisonnée et jamais disproportionnée. Après dix longues années de médiations et de compromis, cette loi doit être la meilleure pour tous au risque d’un isolement de ceux qui exigeraient toujours plus.
Reiulf Ramstad Architecte
Je ne peux terminer mon propos sans m’adresser à mes confrères architectes. Vous qui jonglez avec les réglementations, qui maudissez le législateur de changer tous les 6 mois d’avis. Vous êtes responsables au premier chef de l’enlaidissement de notre environnement, par votre silence coupable sur votre travail quotidien. Car après tout c’est vous qui dessinez la ville de demain, c’est vous qui ne considérez pas la loi sur l’accessibilité comme une contrainte de plus, car c’est une loi pour l’humain. Pas d’économie d’énergie ici, pas de questions de droit des prospects ou de limites de gabarit selon le zonage. Mais un besoin de tous qui doit être aussi naturel que de « laisser entrer le soleil dans la maison » pour citer Le Corbusier.
Nous, architectes, sommes les premiers pourvoyeurs d’accessibilité et donc d’humanité, pensez-y avant de poser la mine du crayon et dessiner l’accessible comme vous dessinez le beau.