Petite histoire des 170m² disparus

Encore une fois un projet de loi qui défend l’architecture disparaît avant même de naître. Encore une fois le manque cruel d’élus architectes ne permet pas de défendre la profession. N’en déplaise aux contempteurs, il n’y a pas de lobby d’architectes, le corporatisme chez nous est aussi peu développé que le sens du bien public chez le promoteur.

 

Le Senat

Je n’ai pas le courage de faire un long texte pour expliquer comment les droits des concitoyens sont petit à petit grignotés au profit du profit, au détriment de la qualité de vie, de l’urbanisme, du paysage. C’est le travail d’un syndicat d’architectes, le rôle de l’ordre des architectes, d’un ministre même**, pas celui d’un blogueur.

Mais je peux raconter des histoires. Il était une fois un  décret…

Si l’on considère, et c’est mon cas, que la loi de 1977 a été manipulée pour transformer les 170m² en 200m² shon*. Si on estime qu’au dernier jour de son mandat un président a autre chose à faire que de s’occuper des architectes. On ne peut que trouver cette histoire… cocasse.

Voici comment la scène aurait pu se passer, ceci est donc une fiction, pour autant ce décret a bien été signé au lendemain de l’élection présidentielle. Peut-être même est-ce le dernier décret signé par François Fillon alors premier ministre :

« Le 7 mai 2012, au lendemain d’une défaite mordante aux élections présidentielles, entre deux cartons et 3 coups de fils, le futur ancien premier ministre de la France, attend son taxi pour rentrer chez lui. Se présentent les membres éminents de la confédération des constructeurs des maisons belles et pas chères (toute ressemblance avec une fédération existante ne serait pas un pur hasard), et son président de commencer un long commentaire sur l’inutilité de l’architecte et de ce qu’il peut être nuisible pour le commerce.

-Monsieur le premier ministre, nous avons obtenu de vous la modification du calcul des surfaces à partir desquelles l’architecte est obligatoire

-C’est pour le mieux, y a-t-il une urgence ? Comme vous le voyez je quitte mes fonctions ce soir. 

-Les architectes (qui décidément refusent de mourir en silence) ont réclamé de mettre une limite à nos exigences, c’est inadmissible !

– Ah ? et que puis-je faire pour vous ?

-Il faut impérativement empêcher ces empêcheurs de construire en cube de s’occuper de la maison individuelle, ils ont 4% du marché c’est déjà trop ! Il pourraient montrer au grand public qu’on peut vivre autrement, qu’on peut faire moins cher, qu’il existe autre chose que la boite à chaussures pour se loger ! C’est terrible ! C’est toute notre économie de vendeur de maisons belles et pas chères qui est en péril, sans compter des milliers d’emplois (cet argument étant toujours le meilleur, puisqu’il justifie n’importe quoi)

-Si vous le dites ! Je vais vous signer un décret sur le pouce. Hop, voila c’est fait ! Il dit que tout ce qui a été décidé est caduque. Je vous laisse, mon uber est là. »

Monsieur, l’ex-premier ministre et futur candidat à la candidature, je suis très honoré que vous ayez pensé à nous dans vos toutes dernières heures à Matignon, je suppose qu’il n’y avait rien de plus important que de nous enfoncer une dernière banderille en publiant ce décret. Un décret rien que pour nous, quelle fierté. Dans la profession, nous n’oublions pas, courage François, fuyons.

 

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*limite en dessous de laquelle un architecte n’est pas obligatoire (mais qui construit une maison de plus de 200m² ?)

**merci à Fleur Pellerin pour ces quelques mots à son dernier jour au ministère, ils nous vont droit au cœur.

Un million de rêveurs ! (billet d’humeur)

auto entrepreneur un million de ….   rêveurs !

 

Il n’est pas de discussion sur l’auto-entreprise (AE) qui ne tourne pas inévitablement au dialogue de sourds. On est pour ou contre, sans nuances, sans raisonnement, dans une grande majorité des cas pour de mauvaises raisons. Pourquoi donc, l’opinion générale s’oppose-t-elle à la plupart des professionnels libéraux qui eux se sentent floués?

 

Je pourrais dérouler un argumentaires de vingt pages pour expliquer, ce qu’est le système de l’auto-entrepreneur, comment il a déstabilisé toute un pan de l’économie et pourquoi il contribue à paupériser une population de travailleurs désormais pauvres et sans avenir, mais personne ne lirait ce billet jusqu’au bout et il n’aurait pas plus d’intérêt pour le lecteur qu’un épisode des « experts », l’intrigue en moins.

 

Mais voilà qu’un ancien président de la république fait son mea-culpa public, Nicolas Sarkozy admet qu’un outil anti-crise pourtant plébiscité peut se révéler mortifère. Le remède pire que le mal en quelque sorte.

 

Voici quelques chiffres et autres exemples vécus. Peut-être cela vous permettra de mieux percevoir le risque que représente ce statut pour la profession et la qualité des ouvrages.

 

 

canafada

DES CHIFFRES

Que sont devenus ceux (un million) qui ont tenté l’aventure (chiffres de l’insee) :

 

1 sur 2 ne gagnent rien ou presque (n’existe donc que sur le papier)

9 sur 10 ne gagnent pas le s.m.i.c

1 sur 10 seulement arrivent à valider 4 trimestres de cotisation retraite.

 

Le chiffre d’un million d’AE se réduit  à moins de 120 000 actifs pouvant en vivre (mal), pour le reste il s’agit d’un complément de salaire ou de retraite.

Pourquoi pas, en effet, beaucoup ont besoin de ce complément, mais à quel prix ? Les marchés couverts par cette multitude de petites mains sans le réel besoin de faire ‘tourner la boîte’ sont négociés à des prix très bas, im

possible à tenir pour le professionnel qui dépend à 100% de son travail.

 

Pour l’AE qui tente de vivre de son travail, comme il ne souhaite pas la plupart du temps sortir du statut d’AE il veille à ne pas dépasser (officiellement) le bénéfice net annuel autorisé.

Sur le papier c’est donc moins de 20€/heure brut, c’est-à-dire avant d’investir dans quoi que ce soit et à condition de compter ses heures.

 

Dans la réalité, l’AE n’a pas la capacité d’investir, ni la possibilité d’amortir son investissement. Ce que l’on constate, ce sont des AE qui réalisent leur bénéfice sur l’argent liquide qu’ils se garderont bien de déclarer. Le statut d’autoentrepreneur est une bonne ‘planque’ comme auraient dit les poilus de la grande guerre qui, eux, allaient au front.

 

L’idée que ce statut d’autoentrepreneur permettrait à bon nombre de salariés sans travail de se lancer  vers un bel avenir de croissance se réduit à presque rien. C’est surtout beaucoup de mensonges, loin de l’esprit d’entreprise.

 

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UN TROU DANS LES COMPTES PUBLICS

– pas de cotisation retraite (des retraités à la charge de la société)

– une sécurité sociale a minima et pas d’indemnités journalières (en cas d’accident, plus de travail, et soupe de cailloux)

– bien sûr, pas de congés

– chômage nul et pas de garantie de l’emploi (plus besoin de vous, merci, au revoir et sans préavis)

 

Voilà pourquoi l’autoentrepreneur est le plus souvent un salariat déguisé, pire, un moyen de licencier en cachette en deux étapes : installer son salarié en AE en lui faisant miroiter un meilleur revenu et puis arrêter de lui passer commande.

 

L’auto-entreprise c’est le rêve de ceux qui veulent simplifier le code du travail. Passer à zéro règle c’est bien plus intéressant. C’est aussi un moyen de perdre quelques années dans sa carrière.

 

BIENVENUE DANS LE MONDE DU TRAVAILLEUR PAUVRE

 

Comment peut-on avoir un local ? aux normes ?

On ne peut pas travailler dans sa voiture toute sa vie !

 

Comment investir dans du matériel qu’on ne peut ni amortir ni déduire de la tva ?

Un AE n’investit pas, son statut est précaire, son bénéfice trop faible

 

Comment prendre une assurance décennale (obligatoire dans le secteur du bâtiment) ?

Payer 4000 € par an en moyenne d’assurance décennale, avec un revenu maximum de 32 900€, c’est intenable.

 

Un AE ne crée pas d’emplois

Comment pourrait-il embaucher, alors qu’il est lui-même sous-payé?

question

PROFITER DU SYSTÈME POUR SURVIVRE

 

Le statut de l’AE c’est une concurrence déloyale pour les salariés et pour les professionnels qui acceptent la règle du jeu.

 

Prenons un exemple simple, lorsqu’un architecte est mis en concurrence avec un maître d’œuvre autoentrepreneur et en imaginant qu’il propose un même devis à 5000€ de prestations.

Pour un architecte inscrit à l’ordre, régulièrement assuré et installé dans des bureaux : 20% de tva et 60% de charges (frais de fonctionnement et cotisations sociales), il peut prétendre à un net de 1680€

Un autoentrepreneur maître d’œuvre (à condition qu’il le soit vraiment) aura 30% de cotisations sur un net hors taxe soit 3500€ de bénéfice net. Il peut donc proposer un devis inférieur pour la même prestation, mais ce dumping ne favorise pas le suivi des dossiers sur le long terme.

 

Souvent le devis de l’architecte sera de 30 à 40% plus élevé (comment lutter?) et une multitude de petits marchés, toujours utiles par temps de vaches maigres disparaissent au profit de maître d’œuvre non assurés et peu scrupuleux. Le plus grave est que ceci entraîne inévitablement un coût à retardement (sinistres, conflits juridiques) non négligeable.

 

Mais nous avons notre part de responsabilité. Toujours à la recherche du meilleur coût pour la sous-traitance, les cabinets d’architecture ont fait vivre des centaines d’auto-entreprises, parties avec leur carnet de clients et leur savoir-faire. L’arroseur arrosé en somme.

 

En conclusion le système de micro-entreprise, très limité dans le temps et encadré juridiquement permettant à des étudiants de se lancer professionnellement ou à des retraités de ne pas terminer leur carrière brutalement, est un bon équilibre ? Mais offrir un confort précaire et déstabiliser tout un pan de l’économie libérale n’est pas tolérable indéfiniment.

 

L’autoentrepreneur doit disparaître, il va disparaître. Sans regret.

 

non altius tollendi (1): l’amère abord

 

Voici une histoire qui m’est arrivée il y a quelques années. Ce jour-là nous visitions une belle maison vue mer près des calanques de Marseille avec mon client. Pour ceux qui ne connaîtraient pas cette partie de notre beau territoire, il vous suffit d’imaginer un petit paradis, mais sans les touristes.

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Belle maison, donc, mais petite, très petite, seul moyen de l’agrandir, faire pousser un étage. Évidemment le client imagine deux magnifiques chambres avec vue imprenable sur la rade, le rêve d’une vie. Le compromis est signé, le crédit bouclé, bref c’est plié ! Sauf que l’architecte, ce sacré empêcheur de tourner en rond a vu une toute petite ligne sur l’acte de propriété ainsi rédigée : « … le fond servant souffrira une servitude altius non tolendi de (je simplifie) 6m, […] libre de  tout édicule, conduit, etc… ». S’engage une longue explication (avé l’accent) que je vous résume ici :

[le client] – mais la mairie m’interdit de construire alors ?

[l’architecte] – non, le PLU autorise la construction, mais une convention entre deux personnes, passée en 1964, n’autorise pas cette construction.

[le client] – mais ils sont tous morts depuis longtemps ?

[l’architecte] – oui, en effet, probablement, mais la servitude est attachée au fond, c’est-à-dire au terrain et non à la personne.

[le client] – mais il doit bien y avoir un moyen ?

[l’architecte] – oui, il y en a un, en effet, convaincre le propriétaire de la maison de derrière de perdre sa vue et de faire modifier son acte par un notaire (puisqu’il est le fond dominant et bénéficie de cette magnifique vue que vous souhaitez obtenir si ardemment).

 

Dessin - Bandi (Marseille)

Dessin – Bandi (Marseille)

S’ensuit une discussion plus pointue sur le comment, qui soudain prend beaucoup plus d’importance que le pourquoi. La petite fenêtre qui s’ouvrait devant nous, de son œil vide, narguait mon client.  Il s’agissait maintenant de peser ce que pouvait bien valoir (et donc coûter) une telle servitude. « Comment ? » s’indigna presque mon client, payer pour une petite ligne dans un acte vieux de Mathusalem ? « Que nenni » lui répondis-je, ne soyez pas sourd à mes explications, il s’agit de payer un dédommagement à celui qui acceptera de perdre la vue définitivement ( mais pas au sens littéral ). Un aïeul a eu le bon sens de préserver quasi éternellement cette vue, il faudrait être fada pour y renoncer ! Il en resta coi.

« Nous serons fort chanceux si le propriétaire actuel n’est aucunement lié au propriétaire d’origine, s’il est en peine d’argent, ou  si c’est un bailleur désireux de rentabilité. Sinon il est rare qu’une servitude disparaisse aisément.

Reste la question cruciale : combien accepteriez-vous, vous, pour perdre à jamais un tel panorama ?

 

 

Transformer la ficton en réalité – Bjarke Ingles

Bjarke Ingles, agence BIG, est un Starchitecte qui révolutionne la perception de l’architecture. D’aucun pensent qu’il ringardise les trop sérieux architectes du (si lointain) XX°Siècle. Sa maitrise de la communication n’est pas pour rien dans cette nouvelle image du maitre d’œuvre créateur de rêves. Il propose une perception ludique de la ville qui correspond en tout point à l’évolution vers une société du loisir chère à Pierre Bourdieu. Non pas qu’elle soit frivole, mais qu’elle s’attache plus à ses rêves qu’à ses contraintes.

En 1899 Thorstein Veblen décrivait déjà la « Théorie de la classe oisive » (The Theory of the Leisure Class), aujourd’hui c’est Charles-Edouard Bouée (homme d’affaires et écrivain) qui reprend à son compte dans cette interview la prescience d’une nouvelle « révolution » techno-industrielle mettant le loisir au cœur de la société.

La ville occidentale va-t-elle changer aussi radicalement que l’espère Ingles ? Ou est-ce d’avoir trop joué, les playmobils et Minecraft ont déformé sa perception de la réalité ? Faites-vous votre idée, en dessous la traduction (merci à CR)

Si le documentaire représente notre monde tel qu’il est déjà, la fiction le fantasme tel qu’il pourrait être. En ce sens, l’architecture est la fiction du monde réel puisqu’il transforme les rêves en réalité concrète en dur.

L’architecture est la toile de fond des histoires de nos vies.

La ville n’est jamais achevée. Elle a un début mais pas de fin. C’est un travail toujours en cours, en attente de l’ajout de nouvelles scènes et de la venue de nouveaux personnages.

Quand j’ai commencé à étudier l’architecture et dit à mes connaissances ce que je faisais, la question la plus fréquente était toujours : « Peux-tu me dire pourquoi tous les bâtiments neufs sont si ennuyeux ? ». On a dans l’idée que les bâtiments dans le passé étaient ornés et décorés de frises et de gargouilles. Aujourd’hui, ils sont réduits à contenir de l’espace, ennuyeux et carrés. D’une certaine manière, un grand nombre des choix actuels tendent à se contenter de réaffirmer l’existant en le reproduisant plutôt que d’inventer ce qui pourrait être. J’ai décidé de changer ça.

Dans le film « Inception », les architectes se rendent compte qu’ils peuvent enfin réaliser leurs rêves les plus fous parce qu’ils créent, en fait, à l’intérieur d’un rêve. Le héros architecte Cobb explique comment sa femme et lui voulaient vivre dans une maison avec jardin, mais à l’étage d’un gratte-ciel. « Dans la vraie vie, nous devrions choisir, dit-il, mais dans un rêve nous pouvons avoir ce que nous voulons. »

Nous avons conçu un bâtiment à Copenhague appelé The Mountain combinant des places de stationnement à un immeuble d’appartements. En transformant le parking en une montagne artificielle de voitures, nous pouvons faire de l’empilement d’habitations, une cascade de maisons avec jardins, des vues de grand standing et des pelouses étendues. La maison des rêves de Cobb est devenue réalité.

Nous appelons cette idée «Bigamie», pouvoir prendre plusieurs éléments désirables mais difficilement conciliables voire s’excluant mutuellement, comme une maison avec jardin et les étages d’un gratte-ciel, et les combiner pour en faire quelque chose de nouveau. On n’est pas obligé de rester fidèle à une seule idée. On peut littéralement marier plusieurs idées pour en faire des hybrides de promiscuité.

Ce qui est beau c’est que l’architecture permet non seulement d’inventer des choses en les rêvant. Elle permet également de modifier la réalité. On peut transformer de la pure fiction en fait tangible.

Nous avons continué à imaginer des petites ruses par rapport à ce qui est généralement admis pour former ce qui fait désormais partie d’une réalité bien quotidienne à Copenhague et ailleurs.

Eight Houses, un quartier de maisons de ville où vous pouvez marcher et faire du vélo depuis la rue jusque dans l’appartement, a transformé un pâté de maisons en un village de montagne méditerranéenne avec des chemins et des places.
Harbour Bath amène la plage en cœur de ville, concrétisant le slogan parisien de mai 68 « Sous les pavés la plage ».

Court Scraper combine l’oasis urbaine de la cour avec l’extrême densité d’un gratte-ciel dans une nouvelle enveloppe, hybride des deux.

Copen Hill est une centrale qui transforme les déchets en électricité. Sa structure est si énorme qu’elle sera la plus grande et la plus haute de tout Copenhague.

Comment transformer une centrale électrique stéréotype en un équipement public ? Nous avons pensé : « Il fait froid au Danemark, nous avons de la neige, mais pas de montagne. Mais nous avons des montagnes de déchets ». Donc, nous avons terminé la construction par une enveloppe continue en pente de ski géante. Ce n’était possible que parce que la centrale est propre. La fumée qui sort de sa cheminée est entièrement non toxique, seulement de la vapeur et du CO2. Ainsi, au sommet de la colline l’air est aussi frais qu’en montagne.

Pour modifier complètement la perception commune d’une centrale électrique, voisin sale, en parc public, nous avons conçu une cheminée qui libère de la vapeur par bouffées de ronds de fumée. La transformation radicale d’un problème emblématique, la pollution, en quelque chose de ludique qui souffle des anneaux de vapeur.

Ça ressemble à de la science-fiction mais c’est le pouvoir de l’architecture que de changer le monde. Ce qui n’était qu’idées follement irréelles, piste de ski et ronds de vapeur, est en train de devenir une réalité quotidienne. À Venise, on navigue en gondoles dans les rues et à Copenhague on skie sur une centrale qui transforme les déchets en électricité. Un rêve étrange cristallisé en une réalité concrète.

Aujourd’hui, on se regroupe dans des univers d’immersion dans le monde virtuel. Plus de 100 millions de personnes peuplent Minecraft où on peut construire ses propres mondes et les habiter en jouant. Le prédécesseur de Minecraft dans le monde réel, Lego, est devenu le plus grand fabricant de jouets au monde avec une population de 3,7 milliards de mini-figurines, le plus grand groupe ethnique de la planète.

Ces mondes de fiction arment le commun des mortels d’outils nécessaires à la transformation de son propre environnement. C’est ce que l’architecture devrait être. Si la géographie permet de répertorier le monde tel qu’il est, l’architecture doit devenir l’artisanat du monde, l’art de construire notre monde où nos connaissances et la technologie ne nous limitent pas mais nous permettent de transformer des rêves surréalistes en espace habitable, de transformer la fiction en réalité.

 

traduction CR, merci 😉

Accessibilité, un lobbying contre-productif !

Pour la semaine du handicap, je laisse la parole à un confrère qui a son mot à dire, bonne lecture.
Billet invité – archiaccessible [twitter]

Accessibilité, un lobbying contre-productif !

C’est difficile à croire, mais celui qui retarde depuis des années la mise en accessibilité des bâtiments est… le monde du handicap ! Vous n’en croyez pas un mot, et pourtant. Rentrons dans le détail et vous comprendrez que cette phrase [provocatrice] a bien un fond de vérité.

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Depuis 2005 et l’application de la loi « accessibilité pour tous » de 2007, nous avons, nous les formateurs, professionnels de l’accessibilité, bureaux d’étude, architectes, formé des milliers d’acteurs du bâtiment, exercé cette loi sur des milliers de bâtiments neufs ou existants et analysé des dizaines de milliers d’établissements recevant du public et sites divers. Et qu’avons-nous constaté ? Que la loi était trop ambitieuse, que, malgré toutes les bonnes volontés – et ne nous y trompons pas, elles sont nombreuses – la loi ne serait pas, ne pourrait pas, être appliquée dans le délai prévu de 10 ans.

Les raisons sont nombreuses, de la mauvaise volonté certes, mais loin derrière la complexité de mise en œuvre ou l’énormité de ce qui est exigé. Le rapport Colboc, de ma consoeur Emanuelle Colboc, relevait déjà en 2008 beaucoup d’incohérences, mais dans chaque région les dossiers impossibles à réaliser pour cause d’accessibilité (trop couteux, techniquement irréalistes) se sont multipliés, jusqu’à ce que le conseil de l’ordre en fasse un regroupement pour en faire part au ministère. Il était évident qu’à l’heure où le manque de logements est plus qu’évident et le poids économique sur les entreprises plus que jamais difficile à porter, la loi accessibilité était le fardeau de trop.

Bien sûr il faut faire évoluer le bâtiment dans le sens d’une meilleure accessibilité. Parce que cela répond au besoin de la population (vieillissement entre autres), parce que c’est un vecteur de fluidité de l’espace de vie et donc de qualité de vie pour tous, comme d’amélioration fonctionnelle, et donc économique. Mais faut-il exiger pour autant de rendre accessible la paillote Corse ou le local de l’association de pêche de l’Ile d’Yeu ?

Statistiques dérogations

Statistiques dérogations

A ce stade je n’ai toujours pas dit comment le monde du handicap rend difficile l’application de la loi, je vais donc me faire des amis :

– La protestation systématique des associations isole chaque jour un peu plus le corpus du handicap visible du reste de la population. Chaque manifestation de fauteuils roulants, commentaire agressif sur les forums, article critique sans proposition constructive, éloigne un peu plus les deux mondes en stipulant : c’est vous contre nous ! Quelle erreur.

-Vouloir imposer une accessibilité partout, quel qu’en soit le prix, contre tous les acteurs du projet, au travers d’une loi, même avec les meilleures intentions du monde, c’est s’exposer à appliquer une dictature de la pensée. Et personne ne peut imposer par la loi ce qui semble contraire au bon sens.

Au-delà de ces errements de communication, qui mettront des années à s’estomper dans l’esprit des acteurs du bâtiment, il y a l’architecture.

– Une accessibilité qui n’est pas intégrée au projet par un professionnel, c’est laid. C’est d’une laideur définitive et exécrable. Fallait il cela pour penser au handicap chaque jour ? Pas un bâtiment public (ou presque) n’a été épargné par la bande podotactile de voirie, la peinture fluo sur les marches ou le grand bleu de peinture sur le parking. Et vous savez quoi ? Rien de tout cela n’est obligatoire. Nulle part la loi ne l’impose. Mais le commerce de l’accessibilité s’est développé plus vite que l’envie de bien faire, et le vite fait l’a emporté sur le bien fait. Qui l’a dit ? Personne ! Pas accessible et moche, voilà, c’est bien fait !

– Par quatre fois les associations ont obtenu l’annulation des dérogations dans le neuf et de les limiter dans l’existant. Encore une fois suite au décret du 6 novembre, les associations vont tenter de contrer l’action du gouvernement (qui pourtant n’est pas le même). Mais faut-il expliquer qu’une dérogation c’est justement quand on ne peut pas faire autrement ? Le médecin de quartier doit déménager parce qu’il est au premier étage sans ascenseur ? Cela parait-il si stupide qu’un salon de beauté puisse aller épiler à domicile s’il a trois marches devant sa porte ? Faut-il que les centre-villes anciens se désertifient un peu plus de leurs commerces parce que trop chers à adapter ?

– Derrière la loi, les commissions, derrière les commissions (ccdsa) les acteurs actifs du handicap. Ce ne sont pas des professionnels du bâtiment qui jugent les dossiers à instruire, mais des représentants d’un lobby. Impossible pour l’architecte de défendre sont dossier, ni avant ni pendant. C’est le couperet.

Je pourrais continuer sur plusieurs pages, mais je ne fais pas un pamphlet contre l’accessibilité mais un article de blog pour essayer de comprendre (merci au passage d’héberger mes propos qui te vaudront mille abonnés de plus ou mille commentaires d’injures).

l'accessibilité ne doit pas enlaidir la ville

l’accessibilité ne doit pas enlaidir la ville

Un dernier point, pour montrer comment la communication outrancière peut être contre-productive.

Lorsque le gouvernement, voyant à un an de l’échéance que tout ne serait pas aux normes, et pour cause, met en place une mesure de transition d’un an (vous avez bien lu), quelle ne fut pas ma surprise de constater dans les articles des journaux, poussés par les associations, des titres indiquant jusqu’à 9 ans de plus pour se mettre aux normes. Et bien c’est faux, archi faux et cela a produit l’effet exactement inverse que celui recherché. Pourquoi se presser en effet.

Dans un an exactement, les établissements qui n’ont pas réalisé un dossier accepté en préfecture pourront être sanctionnés de 1500€ d’amende.

Si ledit établissement ne respecte pas les délais indiqués dans son planning (suivant les travaux un, deux ou trois ans) et dans tous les cas avant septembre 2017, il risque une fermeture administrative. Quelques exceptions (gros établissements, transports) peuvent aller au-delà.

Cela semble une éternité à certains, pour nous dans le bâtiment c’est demain !

Que se serait-il passé au 1° janvier 2015 ?

80% des établissements privés n’auraient pas réalisé leurs travaux. Eusse-t-il fallu alors les sanctionner de 45 000€ d’amende ? Pire, demander la fermeture administrative des ces petits commerces, hôtels, associations, etc. qui font le lien social et travaillent d’arrache-pied tous les jours en pleine crise économique ? C’est une plaisanterie de le croire, un totalitarisme stupide que de l’exiger.

Que va-t-il se passer maintenant ?

Comme pour toutes les évolutions du bâtiment, qui nécessitent un investissement lourd et de conviction, comme cela a été le cas pour les énergies renouvelables et l’amélioration thermique, la loi va s’appliquer dans la durée. Ce sera long, pour permettre aux mentalités d’évoluer, aux techniques performantes d’éclore et le simple renouvellement du parc immobilier.

Tout ne sera pas aux normes, certains même traineront les pieds, mais ceux-là seront montrés du doigt, et comprendront qu’ils seront perdants commercialement s’ils ne peuvent pas accueillir tout un chacun. Et si la guinguette du coin n’est pas accessible, cela rendra-t-il le territoire si dramatiquement malsain ? Moins à mon sens que s’il se recouvre de rampes nickelées et d’élévateurs disgracieux.

Après dix ans d’exercice dans ce secteur, je n’ai qu’un mot à dire aux associations qui se regroupent pour dire non sans voir qu’elles isolent un peu plus chaque jour le monde du handicap de celui qui l’observe de loin : battez-vous avec nous ! Les professionnels du bâtiment ne sont pas les monstres que vous décrivez à longueur d’articles, ils sont le nécessaire lien entre ce qui est possible et ce qui est souhaitable. Et, chose incroyable, certains sont eux-mêmes en situation de handicap. Doivent-ils forcement choisir un camp ?

Les citoyens, handicapés ou non, doivent faire une longue route ensemble pour expliquer, convaincre, et agir vers une meilleure accessibilité. Pour que celle-ci soit belle et intégrée à la cité, pour qu’elle soit raisonnée et jamais disproportionnée. Après dix longues années de médiations et de compromis, cette loi doit être la meilleure pour tous au risque d’un isolement de ceux qui exigeraient toujours plus.

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Reiulf Ramstad Architecte

Je ne peux terminer mon propos sans m’adresser à mes confrères architectes. Vous qui jonglez avec les réglementations, qui maudissez le législateur de changer tous les 6 mois d’avis. Vous êtes responsables au premier chef de l’enlaidissement de notre environnement, par votre silence coupable sur votre travail quotidien. Car après tout c’est vous qui dessinez la ville de demain, c’est vous qui ne considérez pas la loi sur l’accessibilité comme une contrainte de plus, car c’est une loi pour l’humain. Pas d’économie d’énergie ici, pas de questions de droit des prospects ou de limites de gabarit selon le zonage. Mais un besoin de tous qui doit être aussi naturel que de « laisser entrer le soleil dans la maison » pour citer Le Corbusier.

Nous, architectes, sommes les premiers pourvoyeurs d’accessibilité et donc d’humanité, pensez-y avant de poser la mine du crayon et dessiner l’accessible comme vous dessinez le beau.