Un million de rêveurs ! (billet d’humeur)

auto entrepreneur un million de ….   rêveurs !

 

Il n’est pas de discussion sur l’auto-entreprise (AE) qui ne tourne pas inévitablement au dialogue de sourds. On est pour ou contre, sans nuances, sans raisonnement, dans une grande majorité des cas pour de mauvaises raisons. Pourquoi donc, l’opinion générale s’oppose-t-elle à la plupart des professionnels libéraux qui eux se sentent floués?

 

Je pourrais dérouler un argumentaires de vingt pages pour expliquer, ce qu’est le système de l’auto-entrepreneur, comment il a déstabilisé toute un pan de l’économie et pourquoi il contribue à paupériser une population de travailleurs désormais pauvres et sans avenir, mais personne ne lirait ce billet jusqu’au bout et il n’aurait pas plus d’intérêt pour le lecteur qu’un épisode des « experts », l’intrigue en moins.

 

Mais voilà qu’un ancien président de la république fait son mea-culpa public, Nicolas Sarkozy admet qu’un outil anti-crise pourtant plébiscité peut se révéler mortifère. Le remède pire que le mal en quelque sorte.

 

Voici quelques chiffres et autres exemples vécus. Peut-être cela vous permettra de mieux percevoir le risque que représente ce statut pour la profession et la qualité des ouvrages.

 

 

canafada

DES CHIFFRES

Que sont devenus ceux (un million) qui ont tenté l’aventure (chiffres de l’insee) :

 

1 sur 2 ne gagnent rien ou presque (n’existe donc que sur le papier)

9 sur 10 ne gagnent pas le s.m.i.c

1 sur 10 seulement arrivent à valider 4 trimestres de cotisation retraite.

 

Le chiffre d’un million d’AE se réduit  à moins de 120 000 actifs pouvant en vivre (mal), pour le reste il s’agit d’un complément de salaire ou de retraite.

Pourquoi pas, en effet, beaucoup ont besoin de ce complément, mais à quel prix ? Les marchés couverts par cette multitude de petites mains sans le réel besoin de faire ‘tourner la boîte’ sont négociés à des prix très bas, im

possible à tenir pour le professionnel qui dépend à 100% de son travail.

 

Pour l’AE qui tente de vivre de son travail, comme il ne souhaite pas la plupart du temps sortir du statut d’AE il veille à ne pas dépasser (officiellement) le bénéfice net annuel autorisé.

Sur le papier c’est donc moins de 20€/heure brut, c’est-à-dire avant d’investir dans quoi que ce soit et à condition de compter ses heures.

 

Dans la réalité, l’AE n’a pas la capacité d’investir, ni la possibilité d’amortir son investissement. Ce que l’on constate, ce sont des AE qui réalisent leur bénéfice sur l’argent liquide qu’ils se garderont bien de déclarer. Le statut d’autoentrepreneur est une bonne ‘planque’ comme auraient dit les poilus de la grande guerre qui, eux, allaient au front.

 

L’idée que ce statut d’autoentrepreneur permettrait à bon nombre de salariés sans travail de se lancer  vers un bel avenir de croissance se réduit à presque rien. C’est surtout beaucoup de mensonges, loin de l’esprit d’entreprise.

 

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UN TROU DANS LES COMPTES PUBLICS

– pas de cotisation retraite (des retraités à la charge de la société)

– une sécurité sociale a minima et pas d’indemnités journalières (en cas d’accident, plus de travail, et soupe de cailloux)

– bien sûr, pas de congés

– chômage nul et pas de garantie de l’emploi (plus besoin de vous, merci, au revoir et sans préavis)

 

Voilà pourquoi l’autoentrepreneur est le plus souvent un salariat déguisé, pire, un moyen de licencier en cachette en deux étapes : installer son salarié en AE en lui faisant miroiter un meilleur revenu et puis arrêter de lui passer commande.

 

L’auto-entreprise c’est le rêve de ceux qui veulent simplifier le code du travail. Passer à zéro règle c’est bien plus intéressant. C’est aussi un moyen de perdre quelques années dans sa carrière.

 

BIENVENUE DANS LE MONDE DU TRAVAILLEUR PAUVRE

 

Comment peut-on avoir un local ? aux normes ?

On ne peut pas travailler dans sa voiture toute sa vie !

 

Comment investir dans du matériel qu’on ne peut ni amortir ni déduire de la tva ?

Un AE n’investit pas, son statut est précaire, son bénéfice trop faible

 

Comment prendre une assurance décennale (obligatoire dans le secteur du bâtiment) ?

Payer 4000 € par an en moyenne d’assurance décennale, avec un revenu maximum de 32 900€, c’est intenable.

 

Un AE ne crée pas d’emplois

Comment pourrait-il embaucher, alors qu’il est lui-même sous-payé?

question

PROFITER DU SYSTÈME POUR SURVIVRE

 

Le statut de l’AE c’est une concurrence déloyale pour les salariés et pour les professionnels qui acceptent la règle du jeu.

 

Prenons un exemple simple, lorsqu’un architecte est mis en concurrence avec un maître d’œuvre autoentrepreneur et en imaginant qu’il propose un même devis à 5000€ de prestations.

Pour un architecte inscrit à l’ordre, régulièrement assuré et installé dans des bureaux : 20% de tva et 60% de charges (frais de fonctionnement et cotisations sociales), il peut prétendre à un net de 1680€

Un autoentrepreneur maître d’œuvre (à condition qu’il le soit vraiment) aura 30% de cotisations sur un net hors taxe soit 3500€ de bénéfice net. Il peut donc proposer un devis inférieur pour la même prestation, mais ce dumping ne favorise pas le suivi des dossiers sur le long terme.

 

Souvent le devis de l’architecte sera de 30 à 40% plus élevé (comment lutter?) et une multitude de petits marchés, toujours utiles par temps de vaches maigres disparaissent au profit de maître d’œuvre non assurés et peu scrupuleux. Le plus grave est que ceci entraîne inévitablement un coût à retardement (sinistres, conflits juridiques) non négligeable.

 

Mais nous avons notre part de responsabilité. Toujours à la recherche du meilleur coût pour la sous-traitance, les cabinets d’architecture ont fait vivre des centaines d’auto-entreprises, parties avec leur carnet de clients et leur savoir-faire. L’arroseur arrosé en somme.

 

En conclusion le système de micro-entreprise, très limité dans le temps et encadré juridiquement permettant à des étudiants de se lancer professionnellement ou à des retraités de ne pas terminer leur carrière brutalement, est un bon équilibre ? Mais offrir un confort précaire et déstabiliser tout un pan de l’économie libérale n’est pas tolérable indéfiniment.

 

L’autoentrepreneur doit disparaître, il va disparaître. Sans regret.

 

non altius tollendi (1): l’amère abord

 

Voici une histoire qui m’est arrivée il y a quelques années. Ce jour-là nous visitions une belle maison vue mer près des calanques de Marseille avec mon client. Pour ceux qui ne connaîtraient pas cette partie de notre beau territoire, il vous suffit d’imaginer un petit paradis, mais sans les touristes.

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Belle maison, donc, mais petite, très petite, seul moyen de l’agrandir, faire pousser un étage. Évidemment le client imagine deux magnifiques chambres avec vue imprenable sur la rade, le rêve d’une vie. Le compromis est signé, le crédit bouclé, bref c’est plié ! Sauf que l’architecte, ce sacré empêcheur de tourner en rond a vu une toute petite ligne sur l’acte de propriété ainsi rédigée : « … le fond servant souffrira une servitude altius non tolendi de (je simplifie) 6m, […] libre de  tout édicule, conduit, etc… ». S’engage une longue explication (avé l’accent) que je vous résume ici :

[le client] – mais la mairie m’interdit de construire alors ?

[l’architecte] – non, le PLU autorise la construction, mais une convention entre deux personnes, passée en 1964, n’autorise pas cette construction.

[le client] – mais ils sont tous morts depuis longtemps ?

[l’architecte] – oui, en effet, probablement, mais la servitude est attachée au fond, c’est-à-dire au terrain et non à la personne.

[le client] – mais il doit bien y avoir un moyen ?

[l’architecte] – oui, il y en a un, en effet, convaincre le propriétaire de la maison de derrière de perdre sa vue et de faire modifier son acte par un notaire (puisqu’il est le fond dominant et bénéficie de cette magnifique vue que vous souhaitez obtenir si ardemment).

 

Dessin - Bandi (Marseille)

Dessin – Bandi (Marseille)

S’ensuit une discussion plus pointue sur le comment, qui soudain prend beaucoup plus d’importance que le pourquoi. La petite fenêtre qui s’ouvrait devant nous, de son œil vide, narguait mon client.  Il s’agissait maintenant de peser ce que pouvait bien valoir (et donc coûter) une telle servitude. « Comment ? » s’indigna presque mon client, payer pour une petite ligne dans un acte vieux de Mathusalem ? « Que nenni » lui répondis-je, ne soyez pas sourd à mes explications, il s’agit de payer un dédommagement à celui qui acceptera de perdre la vue définitivement ( mais pas au sens littéral ). Un aïeul a eu le bon sens de préserver quasi éternellement cette vue, il faudrait être fada pour y renoncer ! Il en resta coi.

« Nous serons fort chanceux si le propriétaire actuel n’est aucunement lié au propriétaire d’origine, s’il est en peine d’argent, ou  si c’est un bailleur désireux de rentabilité. Sinon il est rare qu’une servitude disparaisse aisément.

Reste la question cruciale : combien accepteriez-vous, vous, pour perdre à jamais un tel panorama ?